Retrospective - 1997 - Jaoui and Bacri interview - L'express - November 6, 1997 (in french)

Source: L'Express 

Le couplé gagnant
Par Leloup Michèle, publié le 06/11/1997

 En prenant Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri comme coscénaristes et acteurs de On connaît la chanson, Alain Resnais savait ce qu'il faisait: dès que ces deux-là touchent à quelque chose, le succès est assuré. Rencontre. 

Pour rester dans le ton, chantons: "Bacri-Jaoui, quel tandem! Et, en plus de ça, ils s'aiment! Jaoui-Bacri, quel talent! Et ça dure depuis dix ans!" Le refrain leur va comme un gant, à ceci près que Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui n'aiment guère évoquer leur aventure. Professionnelle, s'entend. Une pudeur qui confine chez eux à l'élégance. A les écouter, ils ont simplement eu de la chance. De l'humour aussi, à revendre. Mais pas une once de complaisance. Cuisine et dépendances, Un air de famille, Smoking/No Smoking: dès qu'ils écrivent une pièce, adaptent un film ou jouent ensemble, c'est le succès assuré. A guichets fermés. 

L'idée de faire l'unanimité n'est pourtant pas leur tasse de thé. Une peur, plutôt, de se voir "starifiés". Car ces deux-là ont le caractère intransigeant et préfèrent arpenter les marges que de s'enliser dans le conformisme ambiant. Au fond, ils ne demandent rien d'autre que de travailler en toute honnêteté. Lui, le ton tranchant: "Nous sommes à prendre ou à laisser. C'est plus pratique comme ça." Elle, plus nuancée: "Bizarrement, ne pas faire du commercial devient commercial. Tant mieux, nous n'aimons pas les compromis." Voilà, c'est dit, ainsi va le couple Bacri-Jaoui. 

Et Alain Resnais de s'en trouver conforté, lui qui, après leur avoir confié la délicate adaptation de la pièce d'Alan Ayckbourn Smoking/No Smoking, les retrouve sur un film au thème récurrent - l'imagerie du bonheur et son miroir obsédant. Cette fois, ils ont écrit directement pour le cinéma à partir d'une trame où, comme à leur habitude, angoisses, doutes et mascarades figurent en bonne place: "Nous voulions simplement raconter l'histoire de gens malheureux au bord de craquer, masquant leurs troubles pour exister", expliquent-ils, pas fâchés d'avoir eu carte blanche pour dégommer le jeu infernal des apparences. Un thème maîtrisé avec doigté - on peut leur faire confiance pourvu qu'ils mènent la danse: "C'est trop frustrant de ne pas interpréter des rôles que nous avons imaginés." Surtout pour qui aime se colleter avec les rapports humains, fustiger les égocentrismes, décortiquer les travers de chacun... bref, faire rire en puisant dans le quotidien. 

Un goût partagé pour la déconnade
Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui se rencontrent voilà dix ans. Face à face sur une scène, répétant L'Anniversaire, de Harold Pinter, sous l'oeil noir de Jean-Michel Ribes. A cette époque, Agnès poursuit une carrière de comédienne estimée dans le théâtre subventionné. Jean-Pierre, lui, est déjà un acteur remarqué, trimbalant sa lassitude, cet ennui visible qui fait rire d'emblée. Au départ, leur estime est réciproque; la même morale, cette rigueur identique dans le travail, ce goût partagé pour la déconnade, tout ou presque les conduit à se rapprocher: "Ecrire à la maison, c'était un peu prolonger nos interminables conversations...", raconte Agnès. 

Entre eux, la complémentarité s'est rodée avec les années. Ils ne s'isolent plus pour bûcher mais s'appliquent à quatre mains: "L'étape la plus contraignante, c'est l'armature d'un texte nécessitant un an de travail au moins. Puis viennent les dialogues, et, là, c'est la récompense", commente Jean-Pierre Bacri. Une étape pas simple où chacun doit savoir lâcher son os dès qu'il s'agit d'élaguer une réplique trop facile. Leur kérosène? Le respect de l'autre. "Rien ne dure sans principes inébranlables", confient Bacri-Jaoui. Ce refrain-là leur va encore mieux. 

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