Tuesday 18 June 2013

Retrospective - Autumn 1998 - Les trois vies d'Agnès Jaoui - Synopsis - (Interview in French)

Par rapport au “scénario français”, où vous situez-vous ?
Je ne me sens pas de filiation du tout. Il y a des gens que j'aime. Mais ça me gêne, ça ne veut pas dire que je me sente aussi bonne qu'eux ! J'aime beaucoup Prévert, beaucoup - “Les Enfants du Paradis”... J'aime les dialogues écrits. J'aime beaucoup aussi Bergman, ou Tchékhov. Quand je le relis, je pense que c'est l'auteur dont je me sens le plus proche.



Vous ne vous sentez pas en sympathie avec des auteurs plus contemporains ? Woody Allen, bien sûr. Je me sens extrêmement proche de lui, malgré ses derniers films, que j'ai moins aimés. Souvent, j'ai des idées et je me rends compte que ce sont des idées qu'il a eues !


Dans les interviews que Jean-Pierre Bacri et vous donnez, dans vos prises de parole, il y a souvent un discours social ou même politique... 
Comment vous situez-vous par rapport à des scénaristes et des réalisateurs qui, apparemment, ont le même besoin, la même envie, et s'y collent de façon tout à fait différente ?
C'est vrai que “Un air de famille” n'a rien à voir avec les films de Poirier ou de Guédiguian mais... Dans “Cuisine...”, l'argent veut dire quelque chose. Les personnages sont situés socialement. C'est vrai que je connais mieux les bourgeois que les ouvriers de Marseille. D'ailleurs, c'est un débat que l'on a souvent avec Jean-Pierre. Il a davantage envie de parler de gens d'origine plus modeste. Comme je vous l'ai dit, ma mère était psychanalyste. Mais mes parents sont enfants de menuisier... J'ai fini par être “bourgeoise” mais, au départ, je viens de Sarcelles, tout n'était pas écrit !... J'ai juste une petite génération d'avance sur Jean-Pierre, dont le père était facteur. Même si j'ai été élevée dans le 15e arrondissement, si je connais surtout la bourgeoisie, je n'ai pas envie de m'y cantonner. D'ailleurs, le prochain film parle de différents milieux. Il ne sera pas social dans le sens des films de Poirier ou de Guédiguian, mais je crois qu'il sera militant : chacun son cinéma et ses histoires.



Une chose différencie peut-être votre cinéma du cinéma d'auteur, “majoritaire” en France actuellement : les personnages ne sont pas typés sociologiquement de façon très “moderne”. Il n'y a pas, par exemple, de personnage d'immigré, de personnage homosexuel...
Je crois qu'il y a là une nouvelle forme d'académisme, un art pompier : l'immigré, l'homosexuel... Si le thème, le sujet qu'on a envie de traiter, nous amène à parler d'immigrés ou d'homosexuels, on le fera tout naturellement ! Mais je n'ai pas envie de céder à une mode pour y céder. Resnais, justement, nous avait dit : « Vous avez l'entière liberté, je vous demande juste deux choses : qu'il n'y ait pas d'homosexuel, ni de scène de vomissement ! » (rires). Et on avait très bien compris ! Ce n'était pas qu'il était contre l'un ou l'autre, mais c'est vrai que si on veut avoir une bonne critique dans “Libé”... Mieux vaut avoir les deux !


Au-delà de personnages d'immigré ou d'homosexuel, il n'est pas du tout question de sexualité dans vos films. Oui... Oui, oui, c'est vrai. Bon... Dans celui qu'on écrit actuellement, il y a des scènes un peu plus... Mais bon. D'abord, Jean-Pierre n'aime pas du tout quand les gens s'embrassent (rires)... J'ai dû lutter pour qu'il y ait le baiser à la fin de “Un air de famille” !... C'est mon “quota” de femme, je promets qu'il y aura trois spectatrices de plus ! Plus sérieusement, “Cuisine...” et “Un air de famille” étaient adaptés du théâtre - quant à Resnais, je me voyais mal lui écrire une “scène”. Mais, sur celui qu'on est en train d'écrire, on parle beaucoup plus de ça, et c'est assez marrant. Parfois on ne tombe que sur des clichés et je me dis : « C'est pas possible... ». Et puis, parfois, on en sort, et je m'amuse. Mais, là aussi, se pose un problème de mise en scène. Je suis peut-être irrémédiablement conservatrice, mais je suis assez choquée et gênée (tout en aimant beaucoup les scènes de baiser et de sensualité) par des acteurs et des actrices dont on voit le sexe, que l'on voit passer à l'acte.


Cela vient peut-être de votre expérience d'actrice... Pas peut-être, certainement. Ça me fait quelque chose, j'ai l'impression que ça veut dire : « Tu veux être actrice, hein ? Tiens, voilà, fous-toi à quatre pattes... » Cela dit, j'adore les films d'Almodovar... Mais il y a une mise en scène, un regard. Ce n'est pas simplement : voilà deux corps, plus besoin de rien dire... Et puis on est un couple, on a une pudeur à en parler aussi.



Pensez-vous que le fait d'écrire toujours ensemble peut agir comme une censure ? Je ne crois pas. On se comprend suffisamment pour pouvoir parler de choses difficiles ou pas agréables. Ce sont des contraintes créatrices... A cause de cela, ou grâce à cela, nous ne pouvons pas nous contenter de balancer un ressenti. Nous devons le mettre en forme, en problématique.



Vous n'avez jamais envie de travailler avec quelqu'un d'autre, avec qui vous auriez d'autres types d'échanges. Non.

Pensez-vous au public lorsque vous écrivez ? Non, pas du tout. Je ne sais pas ce que c'est, le public. J'avais un père publicitaire qui nous faisait participer à des “brainstormings”, où on nous disait : « Le public n'acceptera jamais un yaourt bleu ! ». A chaque fois, la réalité nous prouvait le contraire. Je trouve ça dangereux, bizarre, de se dire par exemple : « Moi j'aime beaucoup, mais le public ne pourra pas aimer... » Ça veut dire quoi ? Je m'arrête de retravailler un texte au moment où je ne vois plus comment faire pour que ce soit mieux, et où je me dis que si je lisais ce texte sous la plume d'un autre, je serais contente, je me sentirais moins seule, un peu soulagée, comprenant quelque chose ou simplement l'ayant vu mis en mots par un autre. Vraiment, je réagis comme ça, comme j'ai été ou je suis lectrice. Le public... Tant mieux s'il aime.


L'écriture pour la télévision ne vous a jamais tentée ? Très honnêtement, pour l'instant, ça ne me fait pas rêver. Même si, pour le coup, la diffusion est plus grande... On nous a demandé d'écrire des sitcoms. Il y en a de bonnes aux Etats-Unis et en Angleterre. Il paraît qu'on veut en faire de qualité ici, en France... Pourquoi pas ? Mais, ça ne m'attire pas.
Caroline Vignal et Laurent Delmas

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